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Melaine Dalibert

Pianiste et compositeur, Melaine Dalibert – dont ‘Shimmering’ est le premier disque chez Ici d’Ailleurs – reste avant tout, à 42 ans, un (hyper)activiste et un passeur. Interprète amoureux des répertoires rares et soucieux de défendre les musiques de son temps, toutes esthétiques confondues (avec une prédilection pour le minimalisme sous toutes ses formes), il enseigne le piano au Conservatoire de sa ville de Rennes, ville où il anime également le très défricheur festival Autres Mesures, dont la 7e édition vient de s’achever : l’un de ces festivals qui contribuent à susciter ces affinités et à faire fructifier ces réseaux dont tire sa sève la vaste famille des musiques « alternatives » d’aujourd’hui. Une famille dans laquelle tout créateur se doit d’être toujours plus ou moins également un activiste et un passeur, et c’est avec cette même générosité partageuse que Melaine Dalibert semble envisager son activité de compositeur.

Une activité qui, ces dernières années, parallèlement à de nombreux concerts (il participe notamment à Gay Guérilla!, projet autour de la musique pour 4 pianos de l’Américain Julius Eastman, avec ses collègues Stéphane Ginsburgh, Nicolas Horvath et Wilhem Latchoumia) l’a vu publier les disques à un rythme soutenu, principalement sur le label américain elsewhere. Mais aussi évoluer, parallèlement, vers une expression de plus en plus directe, à la sensibilité presque pop (au sens David Sylvian-esque ou Mark Hollis-ien du terme). A côté des compositions algorithmiques de ses débuts, vastes étendues abstraites – à ne pas confondre avec « cérébrales » – et mesmérisantes, il s’adonne de plus en plus volontiers – et le confinement y a sans doute aidé – à des échappées qu’il qualifie de plus « intuitives ». A cet égard, ‘Shimmering’ – qui paraît moins d’un an après les nocturnes éclosions de l’album éponyme (‘Night Blossoms’) et qui tranche avec lui dès son titre – vient prolonger cette veine inaugurée avec ‘Infinite Ascent’ en 2020.

Interrogé sur cette simplicité nouvelle, Melaine Dalibert dit envisager la musique comme il envisage la gastronomie. Il aime varier les régimes, se nourrir de différentes saveurs, il ne dédaignera jamais la bonne chère comme il peut s’accommoder de nourritures rapides. Cette vaste gamme de goûts, cette volonté de ne pas se laisser enfermer ni étiqueter – musique contemporaine, « modern classical », minimalisme, ambient – transparaît dans les huit morceaux plutôt courts qui composent ‘Shimmering’. Nés très vite, enregistrés entre Bruxelles et la Soufflerie de Rezé, ils ont été pour certains discrètement parés d’arrangement de cordes signés de la multi-instrumentiste Margaret Hermant (qui a collaboré avec Jóhann Jóhannsson ou Stars of the Lid). Des cordes qui – au même titre que les traitements électroniques de l’ingénieur du son Fabien Leseure sur le bien-nommé ‘Mantra’, qui fait songer à Harold Budd – agissent comme autant de textures venant compléter les harmoniques et les résonances du piano, leur conférer un surcroît de profondeur de champ, ajouter à la densité atmosphérique de l’ensemble. Une densité particulièrement palpable dans les pièces pour piano seul : Prayer, dans laquelle le toucher de chaque note semble précisément soupesé et habité ; ou encore Six + Six, où l’usage de la pédale de sourdine participe pleinement à la dramaturgie d’ensemble, dont la prise de son fait pleinement partie.

Ces huit lancinantes pop-songs sans paroles, instantanés d’autant états d’âme volontiers mélancoliques, doivent autant à Morton Feldman ou Philip Glass qu’à Ryuichi Sakamoto ou Peter Broderick. Elles n’en révèlent pas moins une personnalité musicale hautement singulière. Ce sont huit nouveaux petits cailloux blancs qui viennent prolonger le passionnant parcours d’un artiste qui, si l’on en croit le titre de son très beau disque de 2019, n’aime rien tant que cheminer.

Texte par David Sanson
Soutenu par la DRAC Bretagne, ministère de la culture.